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L'histoire de mon nez

Il semble que j’aie grandi dans une famille aisée du nord-ouest de la France, en Bretagne. Près de la commune de Quimper, ville où il fait bon vivre. Enfant curieux, audacieux et addict à l'adrénaline,  il m'aurait été aisé de basculer du côté obscur de la force.​

 

​Ce sentiment d'être à la croisée des possibles persiste jusqu’à mes dix-huit ans. Jusqu’au jour où ma grand-mère Emmanuelle vas en finir, notamment, avec la partie sombre de mon être.

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Il faut savoir qu’Emmanuelle est un phénomène. Un genre de hippie moderne doté d’un sixième sens, d’un troisième œil et de tout ce genre d'incongruités. Son fric la sauve. Et c’est en raison de son fric qu’elle est présente dans notre demeure familiale ce soir là où tout bascule.

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C’était un samedi soir, je revenais de la discothèque Les Naïades après un match de foot avec le Quimper Kerfeunteun Football Club. C’est comme ça qu’on l’appelait à l’époque. Normalement, j’aurais dû tomber de sommeil, mais j’avais encore de l’énergie et une quantité anormalement élevée de pulsions destructrices. C’était la pleine lune. Cette nuit, je m'abandonnerais assurément à des curiosités illégales.

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Vêtu de noir,  je quitte ma chambre et tombe face à face avec ma grand-mère habillée en druide (rien d'étonnant). Dès qu’elle pose son regard sur moi, son visage s’empourpre. Ses yeux semblent rouler sur eux-mêmes comme des billes. À ce moment, alors qu’elle se met à crier des formules verbales incompréhensibles, je sais qu’elle a vu la noirceur en moi. Je le vois dans son regard terrorisé.  

 

Mes parents accourent et tentent de calmer ma grand-mère dont tout le corps est engagé dans une gestuelle druidique. De mon côté, je m'apprête à fuir, mais mon corps bloque. Je demeure figé, mes jambes clouées au sol. Avant que je ne comprenne ce qui m'arrive, je sens quelque chose en moi grandir au sein de mon ventre, se débattre, lutter pour sortir. Cette chose indéfinissable pousse, pousse en moi au rythme des incantations ahurissantes d’Emmanuelle dont le visage cramoisi se déforme.  Elle est prête à tout pour vaincre le Uomorii qui a élu domicile en mon corps ou mon âme.

 

Ça y est, ce poison nauséabond semble prêt à sortir de moi, il remonte jusqu'à ma gorge. Au lieu de s'éjecter par ma bouche, il reste pris à l'intérieur de mon...  nez ! De toutes mes forces, je tente d'expulser ce mal-être gluant en me mouchant, mais non, il restera à jamais coincé da

 

Au même moment, je sens mon cœur se déchirer, s’ouvrir comme une huître.

 

Je fustige du regard ma grand-mère et la supplie d'arrêter ces incantations. Incapable de dire ce qui me fait le plus souffrir, mon nez handicapé par le poison coincé ou mon coeur pathétique.  Je sens une petite masse s’en détacher et atteindre ma gorge. Alors que je commence à vomir ce magma noir et nauséabond arraché de mon coeur, ma grand-mère lance un hurlement de mort et s’effondre.

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Mes parents se jettent sur elle. Ils crient son nom, la secouent. Emmanuelle ne réagit plus. Elle est passée de furie à cadavre. De mon côté, les vomissements ont cessé. Mon coeur s'est calmé, mais j’ai toujours l’impression que mon nez va exploser.

 

Suite à cette nuit où ma grand-mère a été interrompue alors qu’elle tentait de m’exorciser, j’ai un bout de mon ancien moi obscur pris dans le nez (qui a littéralement doublé de volume) et mon nouveau moi (ou mon véritable moi), à moitié poussé sur mon coeur, là où un magma noir s'en était détaché.

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Depuis ce jour, je remercie ma grand-mère de m'avoir libérer d'un destin chaotique et de m'avoir permis de devenir Grenade Loiseau, un être imparfait, mais guidé par la lumière. 

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Ce coup de chance fut néanmoins accompagné par une conséquence. Mes oeuvres sont attachées d'un aura maléfique. 

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Prolifique et doté d'un sens inné du marketing, j'ai reçu de nombreuses invitations pour exposer dans plusieurs pays. Mes œuvres ayant été placées à bord de vols d’avion qui se sont écrasés ou de trains qui ont déraillé, elles sont demeurées à Quimper où elles ont fait l’objet d’un seul vernissage, à la galerie Elder. C’était un soir de tempête et personne n’a pu assister à l’événement. Le lendemain, la galerie était vide, les œuvres avaient été volées.

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Mes autres créations sont maintenant entreposées dans mon atelier… qui, étonnamment, n’a pas encore pris feu.

 

Quelques collectionneurs sélects et anonymes ont acquis plusieurs de mes œuvres signées sous un pseudonyme. Il est préférable qu’il en soit ainsi, puisque la seule toile que j’ai vendue sous mon véritable nom a fait scandale. En effet, l’acquéreur est décédé la journée de l’achat. La cause de sa mort demeure inconnue.

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Voici donc l'histoire de mon nez. Et ça me fait sourire.

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Grenade Loiseau

Loiseau cherche son nid

© 2019 Catherine Genest

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